Vendredi 12 janvier 2007, 7 h 51. Dans une station du métro de Washington, un homme sort un violon d’une petite valise. A peine quarante ans, une allure quelconque : tee-shirt à manches longues, casquette de base-ball. Installé près d’une poubelle, il dépose devant lui, bien en vue, un peu de monnaie et commence à jouer devant les passants.

L’individu s’appelle Joshua Bell : c’est l’un des plus grands violonistes du monde. Deux jours auparavant, cet ex-enfant prodige a donné un concert à guichets fermés au Symphony Hall de Boston. L’instrument qu’il tient en main est un stradivarius de 1710 (qu’il vient d’acquérir pour 3,5 millions de dollars). Là, près de l’escalator et du kiosque à journaux, il interprète à la perfection les morceaux les plus difficiles du répertoire universel. Comme la Chaconne de Bach ou l’Ave Maria de Schubert.

En cette heure grisâtre où l’on se rue vers les bureaux, les passants vont-ils être saisis par le miracle de la beauté ? Un attroupement d’admirateurs va-t-il se former ? Difficile, pour un mélomane, de ne pas sentir quelques frissons. On croirait entendre, à travers l’archet délicat qui caresse les cordes, les accents déchirants de la voix humaine…

Et bien… que se passe-t-il ? Les gens ne s’arrêtent pas. Ils paraissent ne rien voir, ne rien entendre. Ils poursuivent leur chemin. Pour la foule des cadres et des employés, ce musicien des rues se confond avec les autres mendiants que l’on croise. Au bout de trois quart d’heure, plus de mille personnes ont défilé devant le musicien, la plupart dans l’indifférence. Dans le terne brouhaha du métro, la performance de l’un des meilleurs violonistes est passée inaperçue.

Selon le Washington Post, à l’origine de cette initiative, sept personnes seulement ont fait une (courte) pause et une seule a reconnu le musicien.

Que nous apprend cette expérience saisissante, laquelle a été visionnée plus de deux millions de fois sur YouTube ?

Qu’un trésor inestimable, même si nous buttons dessus, peut demeurer invisible ! Surtout s’il se confond avec la trivialité ambiante. Quelle est la réalité vraie ? L’indifférence des « métronomes » accaparés par leurs soucis ou la cette beauté indicible qui s’offre à eux sous des haillons de mendiante ?

La vie intérieure, c’est cette princesse méprisée à laquelle nous n’apportons qu’une attention distraite ou un regard condescendant.

Pourquoi prier ? Parce que la soif nous consume. Aucun désir ne peut l’étancher. Rien ne nous désaltère réellement. Parce que tout désir, quel qu’il soit, porte la brûlure de l’infini. La prière ne nous fait pas renoncer aux joies de la vie, elle nous permet de les goûter vraiment en nous ébrouant sous le soleil de l’Etre. Les verrous qui nous emprisonnent, elles les brise pour que respirions à l’air libre. Nous bonheur passe par cette libération intérieure.

Ce qui suppose de faire taire, un tant soit peu, les bruits du monde pour écouter le souffle discret de l’Esprit. Prier, c’est se rendre disponible à une Présence bienveillante, se laisser guider et porter par elle pour le meilleur.

Les plus grands secrets ne se dissimulent pas : ils trompent par leur banalité apparente. Ces trésors ne sont pas enfermés dans des coffres-forts, ils sont offerts aux passants. Ceux-là, pressés par le temps inexorable, n’imaginent pas leur prix. Comment les laisserait-on traîner les long du trottoir parmi les déchets ?

A l’instar de la fameuse « lettre volée » d’Edgar Poe, des richesses inconnues s’étalent devant nos yeux, et nous ne savons pas les voir. Ainsi délaisse-t-on la prière comme ces choses dont nous n’usons jamais parce que nous pensons pouvoir en disposer n’importe quand sans en attendre grand chose.

Ne nous payons pas de mots : prier, ce n’est pas , d’abord, croire ou ne pas croire en Dieu, c’est faire l’expérience d’une Rencontre. C’est, au delà d’une discussion intellectuelle ou de l’expression d’une opinion, faire un choix existentiel : celui de se mettre ou non à l’écoute de ce souffle vivifiant. Une telle aventure peut commencer par un silence, une absence remarquée, et même le sentiment d’un vide.

On peut, comme ces piliers de bar, gloser à n’en plus finir sur l’amour – ou se vanter de supposés exploits amoureux. Il n’empêche, rien de remplacera jamais une nuit d’amour véritable, ou mieux, l’histoire d’amour d’une vie.

Bastière